JOBIM 20 ans

 

JOBIM 2000-2020, par Guy Perrière - Mars 2020

En guise de préambule, je tiens à préciser que les propos tenus dans ce document ne reflètent que mes opinions personnelles et la vision que j’ai pu avoir de JOBIM au cours des 20 années écoulées. Comme l’a dit je ne sais plus qui : « C’est mon avis et je le partage ». Sinon, je suis parfaitement au courant que 2000-2020 ça fait 21 ans et pas 20 mais du point de vue esthétique c’est bien mieux comme ça. Merci de votre attention.

 

En 2018 j’ai fêté mes 30 ans de carrière en bioinformatique, cette période incluant mon DEA, mon doctorat puis mes années en tant que chercheur au CNRS. Pendant ces 30 années j’ai été un témoin privilégié de l’évolution de ce domaine de recherche, un des rares qui soit authentiquement pluridisciplinaire. Durant ces trois décennies j’ai participé à diverses structures qui ont eu, ou ont toujours, leur importance dans le paysage bioinformatique français. Pour n’en citer que trois, je mentionnerai le ReNaBi, l’IFB et la SFBI. Concernant cette dernière, si Alain Guénoche en a été le premier président, il n’est resté à ce poste qu’une année. Après l’écriture des statuts et la mise en place de la première mouture du bureau, il m’a rapidement sollicité afin que je devinsse son premier président élu. Cette demande de sa part se situait dans une certaine continuité historique car j’avais accepté de me charger de l’organisation de l’édition 2005 de JOBIM à Lyon. J’ai donc pour ma part occupé ce poste de 2006 à 2010 avant de passer la main à Sophie Schbath.

Une particularité intéressante de ma longue implication dans la vie de la bioinformatique française est que j’ai assisté à l’intégralité des éditions de JOBIM, depuis le démarrage de cet événement à Montpellier, en l’an 2000. Une des conséquences de cette fidélité est que j’ai été douze fois membre du comité de programme sur les vingt éditions qui se sont déroulées depuis. À ma connaissance, je suis la seule personne à avoir assisté à tous les JOBIM, mais si quelqu’un d’autre était dans ce cas, qu’il me contacte, on pourra partager des souvenirs ! Comme l’a souligné Alain Guénoche, l’idée d’organiser une conférence nationale sur la bioinformatique vient de Marie-France Sagot et d’Olivier Gascuel. En effet, des conférences de ce type existaient déjà dans d’autres pays européens et un tel évènement manquait dans le paysage français qui disposait pourtant d’une communauté d’une taille respectable.

Pourtant il ne faut pas croire que le paysage bioinformatique français pré-JOBIM était vide, loin de là. Ainsi, des colloques dédiés à la bioinformatique ont été organisés en France dès la fin des années 1980. C’est ainsi que la première conférence à laquelle j’ai eu l’honneur d’assister s’intitulait « Rencontres Biologie Moléculaire et Informatique ». Elle s’est déroulée à l’initiative de Serge Hazout, du 8 au 9 juin 1989 à l’École Normale Supérieure rue d’Ulm. Au programme se trouvaient, outre moi-même, des gens toujours en activité 30 ans plus tard : Pierre Tufféry, Jean-Michel Claverie, Claudine Médigue, Alain Viari et Gilbert Deléage. Parmi d’autres initiatives précoces de structuration de la communauté, il faut mentionner les numéros spéciaux de la revue Biochimie, éditée sous les auspices de la SFBBM (Société Française de Biochimie et de Biologie Moléculaire). C’est ainsi que trois numéros de Biochimie consacrés à la bioinformatique ont été publiés en 1985, 1993 et 1996, c’est-à-dire avant que ne se tienne le premier JOBIM.

Mais au fait, quelles sont les raisons qui me poussent à ne rater aucune édition de JOBIM ? La première qui m’est venue à l’esprit est le caractère bon enfant de ce congrès, si je le compare aux standards internationaux auxquels j’ai pu être confronté. Pour autant que je me souvienne je n’ai jamais vu à JOBIM de chef d’équipe monter un traquenard avec ses thésards et post-docs pour démolir les recherches d’un collègue. Une autre raison est ce côté fourre-tout qu’on ne retrouve pas ailleurs. C’est la seule conférence dans laquelle on puisse écouter aussi bien des exposés très pointus du point de vue méthodologique que d’autres plus centrés sur des résultats biologiques. Je trouve qu’une des raisons de l’intérêt que je porte à JOBIM est ce côté hybride, bien que cette caractéristique ait fait l’objet de critiques récurrentes. Avec cette ouverture scientifique, tout le monde peut trouver son compte dans un JOBIM. Alors, bien sûr, on peut retourner l’argument et dire que, du coup, il y a plein d’exposés qui ne vont pas forcément intéresser un participant donné. Maintenant, ça n’a jamais fait de mal à personne de voir ce qui se passe au-delà de sa petite niche écologique (bon, d’accord, dans la nature ça peut être très dangereux) ! Même s’il y a eu des tentatives pour pousser la chose dans une direction ou une autre, ça n’a jamais vraiment duré et j’espère que cela continuera longtemps ainsi.

En parlant de thématiques, tout au long de ces années j’ai vu des constantes mais aussi des apparitions et des disparitions. Parmi les constantes, je citerai les thématiques de l’évolution et la bioinformatique structurale qui ont toujours fait partie du paysage de JOBIM, même si le dosage en termes de nombre d’exposés pouvait être variable suivant les éditions. Une autre constante est l’évocation de la croissance exponentielle des données, phénomène dont j’entends parler depuis… 1988 ! Ainsi, à ma grande surprise, la thématique des bases de données – si présente au début des années 2000 – s’est réduite comme peau de chagrin depuis un certain temps déjà. D’un autre côté, ce sont des évolutions techniques qui ont fait disparaître certaines thématiques, l’exemple le plus évident étant celui de l’analyse des données de puces à ADN. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’avenir de la multitude des développements méthodologiques faits ces dernières années sur traitement et l’analyse des lectures courtes, ceci à l’heure de technologies de séquençage de type Nanopore.

Un autre aspect qui a connu des hauts et des bas est celui du format des soumissions à la conférence. Je vais m’étendre un peu sur le sujet car je considère que c’est un point assez important et qui a pu avoir des conséquences sur le fonctionnement de JOBIM. Les premières années le format était celui classiquement adopté dans les conférences comme ISMB ou ECCB, à savoir un article de cinq à huit pages. En effet, une publication dans les actes d’une conférence de ce type est considérée comme un article à part entière dans la communauté des informaticiens. Utiliser ce format revenait donc à se conformer au standard en vigueur chez les informaticiens. Le problème était que JOBIM a été conçue comme une conférence de la communauté française, d’où la possibilité d’effectuer des soumissions en français ou en anglais. C’est ainsi que sur les 60 articles figurant dans les actes de la première édition de JOBIM, seulement 24 étaient écrits en anglais ! Impossible dans ce cas de vouloir donner à ces actes une stature de publication internationale.

Pour pallier ce problème, les organisateurs des deux premières éditions ont tenté de publier une sélection d’articles, tout d’abord dans Lecture Notes in Computer Science (LNCS) puis dans Bioinformatics. Malheureusement, les exigences des revues ont entraîné des délais de publications vraiment importants pour un pourcentage faible d’articles finalement publiés1. Après ces deux tentatives, il n’a plus jamais été question de publier les actes de JOBIM dans une revue indexée ; toutefois, le format original de soumission sous forme d’articles a perduré encore plusieurs années. Rétrospectivement je suis toujours surpris du succès des éditions de JOBIM de 2000 à 2008 avec un système qui était dissuasif pour les biologistes. Pour information, ceux-ci sont habitués à des conférences où il suffit de soumettre un résumé de quelques centaines de mots, que ce soit pour une communication orale ou un poster. J’étais personnellement très favorable à cette solution et j’ai passé une bonne partie de mon mandat en tant que président de la SFBI à essayer de changer la pratique de la soumission sous forme d’article que j’estimais préjudiciable à la conférence.

Avec le succès de JOBIM sont apparues dans la deuxième moitié des années 2000 ce que l’on a appelé les journées satellites, dédiées à une thématique particulière. Le développement de ces journées était en partie dû à ce côté hybride de JOBIM où toutes les tendances de la bioinformatique était représentées. Du coup, chaque thématique se retrouvait avec une couverture relativement limitée si on ne considérait que les communications orales. Le nombre de ces journées à progressivement augmenté pour atteindre le nombre de cinq au cours de l’édition 2008 à Lille (je faisais d’ailleurs partie des organisateurs de l’une d’entre elle) :

Le problème de ces journées était qu’elles ont petit à petit cannibalisé la participation à JOBIM. Les gens s’inscrivaient seulement à la journée qui les intéressait et n’assistaient pas ou partiellement à JOBIM. Ce problème était aggravé par le fait que ces journées avaient un système d’inscription séparé de celui de la conférence principale et que la participation aux journées satellites était la plupart du temps gratuite. En conséquence, le nombre d’inscriptions à JOBIM qui avait atteint un maximum à Lyon en 2005 a commencé à décroître inexorablement. Pour être franc, je pense que le système de soumissions par articles n’était également pas étranger à cette désaffection. Pour enrayer ce déclin, le bureau de la SFBI a finalement décidé de mettre en place des sessions parallèles à partir de l’édition 2011 à Paris. C’est également à partir de cette édition qu’il a enfin été possible de soumettre des résumés étendus éligibles pour une communication orale.

Pour conclure ce bref panorama de JOBIM je vais y aller de mon petit discours sur ce marronnier un peu pénible qu’est la question de la langue. De ce point de vue, mon opinion n’a pas variée en 20 ans : pour moi c’est l’anglais, of course. Mes arguments, eux aussi, n’ont pas variés. Le premier d’entre eux, c’est le respect vis-à-vis des conférenciers invités non francophones. Et cet argument de politesse se double d’un argument économique. Combien de fois ai-je vu un invité étranger faire son exposé, se rassoir, constater avec surprise que les contributions sélectionnées qui suivent sont en français, puis quitter la salle pour ne plus jamais y revenir. Ledit invité préférera en effet toujours prendre quelques jours de vacances (payés par le contribuable français) plutôt que de s’infliger des exposés auxquels il ne comprend pas un traître mot.

Mon second argument est celui de l’entraînement aux conférences internationales. Comme je l’ai dit plus haut, JOBIM est une conférence bon enfant. Les gens seront donc très indulgents sur l’anglais au moment des questions, ce qui ne sera pas franchement le cas dans une conférence internationale. JOBIM est donc est bon endroit pour se rôder dans une ambiance bienveillante et sans trop de risques. Aujourd’hui le curseur en termes de nombre d’exposés s’est très nettement déplacé vers l’anglais et c’est, selon moi, une chose dont il faut se féliciter.

 


1 Ce choix était tout à fait raisonné car la publication d’actes constitue le fond de commerce de LNCS et Bioinformatics publie une fois par an un numéro spécial contenant une sélection d’articles provenant de la conférence ISMB. Le problème qui s’est posé a été la différence notable entre le nombre d’articles soumis à JOBIM et ceux effectivement publiés dans ces deux journaux. Ainsi, sur les 60 articles figurant dans les actes de JOBIM 2000, seulement douze ont été publiés dans LNCS, soit 20 % du total et 50 % des articles écrits en anglais.  Pour l’édition 2001 à Toulouse, la tentative de publication dans Bioinformatics s’est avérée encore moins concluante. Dans ce cas, seuls quatre des 48 articles figurant dans les actes ont été publiés dans Bioinformatics soit seulement 8 % du total. Par ailleurs, les délais entre la soumission originale à JOBIM et la publication ont atteint pratiquement deux ans avec une publication en février 2003 pour un JOBIM s’étant déroulé fin mai 2001. Ce délai très important provenait de l’exigence faite par la revue que les articles soient reviewés une seconde fois en passant par l’intermédiaire de son propre système d’évaluation.